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LE BLOG JURIDIQUE de Séverine DUPUY-BUSSON, Avocat au Barreau de Paris
24 juin 2010

France Télévision : l'audiovisuel public un an après la réforme. Par Séverine DUPUY-BUSSON Avocat à la Cour

Voilà plus d'un an que la publicité a disparu des chaînes publiques entre 20h et 6h du matin. L'objectif de la réforme consistait à donner à la télévision publique les moyens de mieux exercer sa mission de service public. Pourtant, la concurrence avec les chaînes privées est toujours vive aujourd'hui, la "dictature" de l'audience semblant se poursuivre.

La loi a d'ailleurs entraîné un effet inattendu : lorsque la publicité est interdite (entre 20h et 6h du matin), les chaînes ont recours au parrainage. On peut y voir une façon pour France Télévision de contourner l'interdiction.

D'un point de vue légal, la publicité se définit comme "toute forme de message (...) diffusé contre rémunération ou autre contrepartie en vue soit de promouvoir la fourniture de biens ou services, y compris ceux qui sont présentés sous leur appellation générique, dans le cadre d'une activité commerciale, industrielle, artisanale ou de profession libérale, soit d'assurer la promotion commerciale d'une entreprise" (article 2 du décret du 27 mars 1992 relatif à la publicité télévisée).  Le même décret, en son article 17, définit le parrainage comme "toute contribution d'une entreprise ou d'une personne morale publique ou privée, n'exerçant pas d'activités de radiodiffusion télévisuelle ou de production d'œuvres audiovisuelles, au financement d'émissions télévisées, afin de promouvoir son nom, sa marque, son image, ses activités ou ses réalisations". Il est encore précisé dans le décret de 1992 que les chaînes de télévision publiques ne peuvent faire parrainer que leurs émissions correspondant à leur mission éducative, culturelle et sociale.

Premier effet de la réforme donc : l'interdiction de la publicité est partiellement contournée, ce qui montre que la logique de rentabilité perdure. On constate d'ailleurs que les recettes publicitaires en journée sur France Télévision se sont très bien maintenues malgré la crise économique, et se sont transférées du soir vers la journée. Et il est fort à prévoir que le placement de produit que le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel a autorisé fin mars 2010 dans les créations télévisuelles ne fera qu'amplifier ce phénomène de contournement.

La réforme a ensuite eu un effet bénéfique inattendu : elle a protégé le service public de la crise publicitaire consécutive à la crise économique, alors que, dans le même temps, les chaînes privées en ont considérablement pâti. TF1 et M6 ont ainsi perdu une part importante de leurs recettes publicitaires. Le report des investissements publicitaires des chaînes publiques vers les chaînes privées historiques n'a pas eu lieu et ce sont les chaînes commerciales de la TNT (W9, TMC, GULLI, ..;etc.) qui en ont bénéficié.

Si la logique de rentabilité est toujours présente, les grilles de programmes des chaînes publiques ont cependant évolué vers un contenu plus culturel. On y voit désormais davantage de théâtre, de documentaires et des spectacles vivants aux heures de grande écoute. Et les parts d'audience réalisées par ces programmes ont fréquemment atteint des taux très satisfaisant. Ainsi, la ligne éditoriale des chaînes publiques est actuellement en évolution et témoigne d'une certaine prise de risque. Pour autant, cette nouvelle ligne éditoriale doit-elle être mise crédit de la réforme de 2009 ? C'est discutable dans la mesure où le virage a été amorcé antérieurement, notamment s'agissant de la programmation de documentaires en prime time. Tout au plus peut-on estimer que la loi du 5 mars 2009 a amplifié ce phénomène, mais elle n'en est pas à l'origine.

On admet néanmoins aujourd'hui à France Télévision que la réforme a encouragé cette stratégie dès 20h25 et a supprimé les problèmes d'annonceurs liés au prime time. Les cahiers des charges des chaînes publiques ont d'ailleurs été retouchés et leurs obligations patrimoniales ont été revues à la hausse. Car lorsque la réforme a été adoptée voilà un peu plus d'un an, la véritable attente concernait le soir et la pression de l'audience en prime time. C'est donc entre 20h et 6h du matin que la publicité a été interdite dans un premier temps, la disparition totale des spots avant 20h étant annoncée pour fin 2011. Ce deuxième axe de la réforme est aujourd'hui critiqué.

En effet, la suppression de la publicité e soirée a eu un coût de 450 millions d'euros pour France Télévision, somme que l'Etat a compensé. Mais l'offre structurelle a explosé puisqu'on est passé en quelques années de 6 à 18 chaînes, puis la crise conjoncturelle est arrivée, ce que la réforme de 2009 n'avait pu anticiper. La donne a donc changé. De plus, Bruxelles a ouvert en janvier 2010 une procédure d'infraction contre la taxe de 0,9% sur les fournisseurs d'accès internet mise en place par la France pour compenser le manque à gagner publicitaire pour la télévision publique. France Télévision a alors recherché des solutions pour assurer la pérennité de France Télévision Publicité, dont les recettes se sont effondrées entre 2007 et 2010. Il a été envisagé d'ouvrir son capital.

Dès lors, faut-il aller plus loin ou marquer une pause ? Si l'on veut comparer avec certains de nos voisins européens, on remarque qu'il n'y a pas de publicité sur les chaînes publiques anglaises, et qu'il y en a seulement en journée sur les chaînes publiques allemandes. Cependant, dans ces deux pays, le montant de  la redevance audiovisuelle y est beaucoup plus élevé qu'en France. Faut-il donc envisager une telle hausse en France ? C'est le souhait de nombreux professionnels de l'audiovisuel, qui se montrent également favorables au maintien de la publicité en journée. On estime en effet à France Télévision qu'il n'existe aucun enjeu éditorial à supprimer la publicité en "day time", alors qu'en soirée, cela était crucial. Dès lors, alors que la publicité devrait théoriquement disparaître définitivement des écrans de France Télévision fin 2011, toute la question est désormais de savoir s'il est opportun ou non de la maintenir.

Séverine DUPUY-BUSSON

Avocat à la Cour
Docteur en droit
Chargée de cours à l'Université d'Evry-Val d'Essonne

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